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Très chère justice Québéçoise
Très chère justice Québécoise,
Aujourd’hui même, en matière de « justice » sur les violences faites aux femmes, tu me déçois beaucoup.
Je suis l’une de tes victimes, une parmi des milliers dont tu ne reconnais pas le statut.
Je suis une victime qui comme des milliers d’autres, a été violentée dans une relation amoureuse de contrôle tant psychologiquement, physiquement, sexuellement et financièrement.
Selon moi, je ne suis pas juste une victime, je suis également et surtout, une survivante.
Mais pour toi, qui suis-je ? Probablement un numéro de dossier.
Mieux encore, le numéro de dossier portant le nom de mon agresseur.
Chère justice, laisse-moi te raconter.
Je croyais en toi, Je croyais si fort en toi que malgré toutes mes peurs, j’ai pris mon courage et j’ai osé parler. Te parler.
Comme indiqué, j’ai suivi ton mode d’emploi rigoureux.
Je me suis rendue au poste de police, craignant pour ma vie et celles de mes enfants.
Craignant que tu ne m’écoutes pas et que ma parole sous remise en doute.
Je me suis rendue la tête haute, aussi haute qu’une victime en soit capable.
J’ai visité ton poste de police plusieurs fois pour y raconter toute mon histoire, les détails intimes et croustillants, comme tu les aime, de ma vie de couple.
Mais c’est ton processus, n’est-ce pas ? Je te confirme avoir reçu peu d’écoute et d’empathie.
J’ai ensuite rencontré ton inspecteur, pour raconter à nouveau mon histoire. Je devais être forte puisque ce que tu exiges de tes victimes est d’être déjà guéries : Que je sois émotive mais pas trop, que je ne pleure pas ou presque pas, que je ne tombe surtout pas dans un état de panique, et qu’en plus que ma mémoire sois toujours sans aucune faille. Au moindre détail changeant, j’aurais déjà une prise au bâton.
Sans te faire un cours 101, chère justice, notre cerveau ne fonctionne pas comme cela. Encore moins quand nous subissons un trouble stress post-traumatique, ce qui est particulièrement courant chez tes victimes.
En guise de remerciement pour mon courage, j’ai eu droit à un faible bonne chance.
La cerise pour couronner le tout ?
« J’espère que votre plainte sera étudiée par une femme procureure. Vous savez Madame, la violence conjugale c’est dur à prouver ! »
Merci Monsieur l’inspecteur, je le sais maintenant.
Mais selon toi, chère justice, aurais-je commis une faute en allant voir ton inspecteur ?
C’est bien ce que j’ai entendu de ta propre bouche.
« Dénoncez ! »
C’était pourtant bien ce que j’ai fait.
Tu ne le sais peut-être pas encore, mais nous les victimes recherchons avant tout la justice ou du moins une forme de justice.
La connaissance que nous n’avons pas vécue cela pour rien. Un statut peut-être ?
Au contraire de ce que tu crois sans doute, nous n’allons pas porter plainte par vengeance. Il y a longtemps que nous savons bien qu’ici au Québec, nos agresseurs n’ont pas de sentences…
J’ai quand même osé continuer de croire en toi.Plusieurs mois plus tard, mon «dossier »
arrive sur le bureau d’une procureure.
Rencontre obligatoire avec celle-ci, où je te raconte encore une fois tous les détails intimes et croustillants, comme tu les aime, de ma vie de couple.
Pénible, lourd, anxiogène, toutes ces émotions que tu me fais vivre. Mais c’est ton processus, n’est-ce pas ?
Plus de deux mois plus tard, ma déposition reviendra classer sans suite.
Mon trauma, lui, n’a pourtant pas de délai de prescription.
Ta procureure a pris 10 grosses minutes pour m’expliquer à moi « victime » qu’elle n’allait pas déposer de charges. « Vous n’avez pas assez démontré votre non-consentement de façon suffisante » sont les mots qui raisonnent encore dans ma tête.
« Vous n’êtes pas partie, vous avez donc pris par au jeu ».
5 minutes plus tard, tu m’as remis par le biais de ton inspectrice mes pièces à conviction. Chère toi, je n’ai dénoncé que des gestes allant de voie de fait à des agressions sexuelles, que tu minimises toujours dans le contexte conjugale.
Comment faire tomber une victime en crise de panique ? Tu sais bien le faire.
En lui souhaitant bonne chance et la laissant là, comme cela, s’en aller, preuve à la main. Je ne sais toujours pas en faire de ces « preuves ».
Chère justice, je n’ai encore eu aucune empathie et reconnaissance. J’étais et je suis encore estomaquée. Que dire de plus, sur le peu de victime qui ont « la couenne» dure comme moi et qui porte leur « dossier » en révision ?
Que nous ne sommes qu’encore plus déçues et ridiculisées.
Mais très chère, tu aimes les victimes qui parlent, mais qui ne parlent pas trop forts.
En matière de violences conjugales, ta preuve c’est nous, tes victimes.
En matière d’agressions sexuelles (comme tu sais si bien maintenant le dire) ta preuve c’est nous les victimes. Petit cours 102, puisque tu as si bien changé tes mots pour cacher la vérité : Une agression sexuelle complète dans un couple se nomme un viol conjugal. C’est réel, ça existe et le mot est encore de mise.
Bref, tout cela pour te dire que tu devrais peut-être nous écouter pour de vrai, du moins si tu cherches vraiment à améliorer ton système. Tu seras heureuse d’apprendre que nous, les victimes, avons un bien grand nombre de tes solutions.
Pour l’instant, j’ose encore croire que tu mettras sous peu les efforts nécessaires pour que des victimes telles que moi soient crues, entendues, écoutées, soutenues et protégées.
J’ose croire que tu feras mieux dans un avenir proche pour accompagner d’autres victimes tout au long de tes procédures sans fin, et même que tu pourrais y ajouter un peu d’empathie. Sans celles-ci, tu devrais le reconnaitre, tu aurais beaucoup moins de travail. Je continuerai d’être fidèle au poste, et de faire une partie de ton travail en aidant, en conseillant et en informant.
J’ose croire que tu finiras par nous entendre. Donne enfin la parole à tes victimes !
Sur ce, je te donne un dernier petit conseil.
Quoique tu n’y connais rien, ni ton équipe, la violence psychologique est la base de toutes les violences. Pourquoi tes victimes ne partent pas ? Car elles sont prises dans un cycle de violence et subissent différentes formes de violence. Un contrôle sans fin par différents moyens où elles ne voient pas comment s’échapper et où elles meurent lentement, sournoisement et oui souvent oui, même sans bleu.
Il serait peut-être temps que tu la reconnaisses elle aussi, comme criminelle.
L’une de tes survivantes.
Myrabelle Poulin